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Cinéma

CECI N'EST PAS UNE CRITIQUE DE FILM : DJANGO UNCHAINED

Par Vanina Géré   
Le 14/02

Avec Django Unchained, Quentin Tarantino réalise une nouvelle fiction vengeresse en forme d’hommage aux films de genre. Mais plutôt que d’être un simple spectacle de violence esthétisée à des fins de divertissement, le film prétend ne pas se servir de l’histoire américaine de l’esclavage comme d’une toile de fond, mais entend contribuer à la réparation d’horreurs historiques passées. Sur ce plan, le film se fourvoie lourdement, et produit plutôt l’inverse de ce qu’il croit entreprendre.

Dire que Django Unchained dénonce l’esclavage revient à peu près à concevoir Kill Bill ou Boulevard de la mort comme des films féministes. Non, il ne suffit pas que Jamie Foxx vide son chargeur sur des esclavagistes pour rendre hommage aux victimes de l’esclavage. Il ne suffit pas non plus qu’Uma Thurman dézingue tout sur son passage (des femmes en majorité, d’ailleurs) pour troubler l’ordre patriarcal. (Kill Bill 2 s’achevait sur la phrase suivante : « la lionne a retrouvé son petit, la paix peut revenir dans la jungle », réduisant ainsi l’empowerment de l’héroïne à l’exaltation d’une soi-disant essence féminine reposant sur l’instinct maternel. Quant à la séquence finale de Boulevard de la mort, où trois femmes rendent la monnaie de sa pièce à un serial killer misogyne, non, elle ne fait pas prendre leur pied aux féministes : on ne se sent pas politiquement galvanisé à regarder la représentation cinématographique d’un tabassage.) 

UN VRAI FAUX PORTRAIT DE L’ESCLAVAGE AMERICAIN

On pourra avancer qu’il faut avant tout regarder Django Unchained comme l’énième variation signée Quentin Tarantino sur le thème de la vengeance en forme d’hommage aux films de genre, cette fois-ci planté dans le Vieux Sud américain. Effectivement, l’ouverture du film annonce clairement la couleur : les lettres du générique citent les films sensationnalistes de série B. La bande-son du générique, puis toute la musique du film citent le western spaghetti et Ennio Morricone. Le retour en arrière n’est pas historique, mais esthétique.

Dans son article « Django Unchained : Put-On, Revenge, and the aesthetics of trash », le critique du New Yorker David Denby faisait mine de s’étonner de ce qu’un certain nombre de critiques avaient pris le film pour un « portrait de l’esclavage ». Selon Denby, le caractère résolument invraisemblable de Django Unchained transparaît dans autant de détails que le nom de l’héroïne : Mel Brooks n’aurait pas pu trouver mieux que « Broomhilda Von Shaft ».

Le film est par ailleurs ponctué d’anachronismes, comme la scène du raid dirigé par Big Daddy, riche planteur à la tête d’une équipe de bras cassés, contre Django et le Dr. King Schultz : les expéditions punitives par des blancs encagoulés ne sont apparues qu’après la Guerre de Sécession, avec la naissance du Ku Klux Klan. (La scène ne constitue d’ailleurs pas tant une allusion aux activités du Klan, que la parodie de la chevauchée des cavaliers du Klan dans Naissance d’une nation (D.W. Griffith, 1915), œuvre majeure de la culture américaine autant pour ses innovations formelles que pour son travestissement raciste de l’histoire et sa contribution à l’élaboration des mythes sur l’esclavage. Dans Django Unchained, Tarantino ridiculise les cavaliers en renouant avec le meilleur de Pulp Fiction : des dialogues où des malfrats moralement et intellectuellement abrutis se querellent avec sérieux sur des points parfaitement triviaux, qui contrastent avec la situation pour produire un effet comique (Tarantino met donc ici à mal le mode épique de la narration griffithienne).

Anachronismes, ou encore erreurs semées au passage : le Dr. King Schultz, dans la scène d’ouverture du film, rétorque au marchand d’esclaves dont il vient d’abattre le frère, qu’il a des témoins pour attester que son acte relevait de la légitime défense. Le témoignage d’un esclave n’avait aucune valeur légale, et les esclaves n’avaient pas d’identité juridique, excepté en tant que criminels, ainsi que l’historienne américaine Saidiya V. Hartmann l’a exposé dans Scenes of Subjection (1997, ouvrage portant sur la construction du sujet noir sous l’esclavage et après l’émancipation).

MANDINGO FIGHTS

Enfin, certains éléments du film de Tarantino relèvent de la fiction la plus pure. Toute la deuxième partie du film repose sur les « combats de Mandingues » (Mandingo fights). Ce type de combats, qui révèle la cruauté du personnage de Monsieur Candie, interprété par un Leonardo DiCaprio recyclé en planteur censé représenter l’ambivalence fondamentale des gentlemen du Vieux Sud – aussi raffinés que barbares – n’a jamais existé. Que des esclaves aient été forcés de se battre entre eux pour divertir des blancs est tout à fait plausible – mais en aucun cas jusqu’à ce que mort s’ensuive. L’esclavage était en effet un système économique, et aucun propriétaire n’aurait dilapidé son capital en forçant ses esclaves à s’entretuer. (Paradoxalement, les vies noires avaient plus de valeur  (marchande) sous l’esclavage qu’après l’émancipation.)

Les « combats de Mandingues » apparaissent en fait sous la plume de Kyle Onstott dans le roman à sensations Mandingo (1955), adapté à l’écran par Richard Fleischer en 1978. (Compte tenu de l’écart entre la fin des années 1970 et le début des années 2010 en termes de possibilité de représentation explicite de la violence, le film de Fleischer est à peu près aussi décomplexé que celui de Tarantino, si ce n’est que la caméra s’approche beaucoup moins près des acteurs gluants d’hémoglobine.)

Il faudrait donc ranger Django Unchained parmi les nombreuses fictions américaines prenant l’esclavage pour prétexte – que ce soit à la production d’un mélodrame dans Autant en emporte le vent, d’un divertissement enfantin dans Song of the South (Walt Disney, 1946), ou encore des frissons pulp de Mandingo. Remettre les pendules à l’heure en rappelant une fois de plus le gouffre entre l’œuvre de fiction et le documentaire comme le fait Denby semble donc tout à fait justifié. D’autant plus que Django Unchained ne cesse de citer le cinéma, et dévoile parfois les procédés qu’il met en œuvre. Tarantino nous rappelle qu’il fait du cinéma –  son cinéma – à grands coups d’autocitations. (Le personnage féminin de « Marsha », à la hache et aux chiens, à mi-chemin entre Calamity Jane et la white trash, rappelle les fétichistes de Pulp Fiction d’une part, et manipule un stéréographe d’autre part : mise en abyme du film, qui met l’histoire en relief grâce à un dispositif formel.)

AU-DELA DE LA BANALE IRRESPONSABILITE

Néanmoins, établir le fait que Django Unchained ne saurait être pris pour une représentation réaliste de l’esclavage américain – et les nombreux cas « d’analphabétisme visuel » mis au jour par la réception du film montrent combien cela demeure nécessaire, d’aucuns attribuant des qualités « instructives » au film – ne rend pas le film moins problématique.

Evacuons encore les vieux arguments selon lesquels les épisodes historiques traumatiques doivent demeurer la chasse gardée des historiens, et/ou être traités par des genres « sérieux ». La manière dont certains auteurs de bande dessinée et de dessin d’animation se sont saisis de l’Histoire avec un grand H, de Maus d’Art Spiegelman à Valse avec Bachir (Ari Folman, 2008), a suffisamment montré que la question de l’adéquation entre un « sujet » horrifique et douloureux et une forme non canonique, permettait de repousser les limites de l’exploration du champ artistique tout en soulignant le gouffre infranchissable entre l’œuvre d’art et le réel. En effet, dans ce type d’entreprise, se pose d’une part la question de la manière dont l’horreur impose une réflexion aiguë sur l’adaptation de la forme (ce qui s’applique à tout médium, populaire ou non). D’autre part, le recours à des genres a priori plus accessibles, aux formes familières prenant leur source dans l’univers enfantin, permet au lecteur ou au spectateur de rentrer aisément dans l’œuvre pour mieux provoquer le questionnement ou la réflexion, grâce à l’effet de surprise aménagé par le détournement des attentes du public face à ces genres.

On ne décrétera donc pas que l’esclavage ne peut pas figurer dans un film de fiction pulp.

Si Tarantino avait pris l’esclavage dans Django Unchained comme simple toile de fond, comme prétexte, sans s’interroger sur les implications d’un tel choix, après tout, pourquoi pas ? C’eût été banalement irresponsable. (La notion de responsabilité n’étant pas non plus le meilleur critère d’appréciation d’une œuvre d’art. Un autre grand irresponsable, Alexandre Dumas – dont la négritude est mentionnée de manière purement décorative dans le film – déclarait : « Qu’importe qu’on viole l’Histoire, pourvu qu’on lui fasse un enfant ».) On n’en aurait pas moins attendu de Tarantino, qui n’a pas hésité à exploiter la Shoah dans Inglorious Basterds pour justifier la torture. Cela n’aurait fait que refléter, tout simplement, l’amnésie historique vis-à-vis de l’esclavage qui prévaut encore dans la culture américaine, en dépit des avancées des études américaines et afro-américaines sur ce point, et de l’investissement de la mémoire de l’esclavage par quantité d’artistes visuels, de Fred Wilson à Sanford Biggers, en passant par Kara Walker.)

Dans ce cas, il aurait été simple de se ranger du côté de Spike Lee, qui a décidé de boycotter Django Unchained au motif que le film n’était rien moins qu’une insulte à la mémoire de ses ancêtres. (Et effectivement, la représentation de la majorité des esclaves dans le film en fantoches passifs et l’affirmation du caractère « exceptionnel » de Django, « parmi les dix mille » pour reprendre les termes du film, oblitère allègrement les révoltes collectives d’esclaves, ou les nombreux cas de résistance individuelle à l’Institution particulière (peculiar institution, euphémisme désignant le système esclavagiste américain). Parmi les cas les plus célèbres, on se souviendra de la rébellion organisée par Nat Turner en 1831 ; de l’acte d’infanticide de Margaret Garner en 1856, repris par Toni Morrison dans Beloved (1981). On évoquera encore la résistance constante au système esclavagiste dont attestent les récits d’esclaves du XIXe siècle, notamment ceux de Frederick Douglass ou de Linda Brent, ou encore les enregistrements audio des témoignages d’anciens esclaves collectés dans les années 1930 dans le cadre du Federal Writers Project (chapeauté par le Works Progress Association (WPA) dans le contexte des projets de relance économique du New Deal).

OU L’ENFER EST PAVE DE BONNES INTENTIONS

Quel est donc le réel problème que pose Django Unchained ? Paradoxalement, c’est que Tarantino aspirait à autre chose que la réalisation d’un divertissement postmoderne, où l’Histoire n’aurait servi qu’à établir la distance nécessaire à la suspension du jugement du public afin de goûter le plaisir (discutable) du spectacle de la violence. Au cours de sa conférence de presse à New York (16 décembre 2012) Tarantino affirmait en effet qu’outre sa vocation à plaire au spectateur lambda (que ce démiurge du pulp semble concevoir à son image, en tant que cinéphage dépourvu de toute trace d’esprit critique face aux produits de la culture), Django Unchained représentait sa contribution personnelle à l’entreprise de réparation des horreurs du passé. Les Etats-Unis, disait-il, n’ont pas encore mené cet effort à bien. Tarantino a donc voulu se confronter à l’esclavage américain, et il était conscient de s’avancer sur un champ de mines. (Ce n’est pas à son déshonneur.) Plus précisément encore, l’intention déclarée du réalisateur était de remédier au grand silence du cinéma de masse vis-à-vis des abominations de l’esclavage et de la violence raciste, ainsi qu’à l’absence d’esclaves noirs de la catégorie des héros hollywoodiens. Ainsi, le grand repoussoir de Django Unchained, c’est bien Naissance d’une nation.

Malheureusement, le nouvel opus de Tarantino ne se révèle pas à la hauteur de ses ambitions – quand il ne les contredit pas totalement.

Tout d’abord, parce qu’à vouloir dénoncer les horreurs de l’esclavage, Tarantino se contente d’en réitérer les fictions sensationnalistes. On a déjà évoqué la dimension fictive des combats de Mandingues. La scène où l’esclave d’Artagnan est jeté en pâture à une meute de chiens apparaît tout aussi éclairante à cet égard. Fréquemment rejouée sous la forme de flashbacks du point de vue du Dr. King Schultz, la séquence vise à justifier le meurtre de Monsieur Candie : ce sadique l’avait bien cherché. Or, si la cruauté de certains maîtres vis-à-vis de leurs esclaves atteignit des proportions considérables, encore une fois, un tel acte n’aurait eu aucune raison d’être sous l’esclavage pour les raisons évoquées plus haut. Tarantino avait mille et un témoignages à sa disposition pour suggérer la violence abominable qui s’exerçait jour et nuit dans le Vieux Sud. La dévoration de d’Artagnan, qui anime Schultz d’une « sainte colère » (censée contaminer le spectateur), devient dès lors absolument gratuite. Par ailleurs, la manière dont Schultz expédie Candie dans l’autre monde ne répare rien : le méchant meurt, le système demeure.

STEREOTYPES ET FANTASMES DE TOUTE-PUISSANCE VIRILE

Ensuite, le modèle de héros noir que propose Django Unchained, en remède à la relégation des personnages noirs à des rôles subalternes dans le cinéma hollywoodien, semble peu convaincant. Les trois quarts de l’intrigue sont dominés par Schultz, le chasseur de primes progressiste, qui accorde sa liberté à Django et devient son mentor. En d’autres termes, Django n’accède à l’émancipation physique et psychologique que selon une logique paternaliste. Il ne prend pas sa liberté, on la lui donne. L’évolution de Django tout au long du film, loin d’en faire un personnage complexe, se limite à le faire passer par des stades de caractérisation qui correspondent aux stéréotypes sur les hommes noirs dans la culture occidentale. D’abord vaguement enfantin (lorsqu’il écoute l’histoire de Brunehilde et Siegfried, les yeux brillants), il devient ensuite le criminel badass, pour finir en dandy gansgta rap. Son regard, caché derrière ses lunettes de soleil dans l’ultime plan du film, ne renvoie plus rien au spectateur, mais le transforme en site de projection de tous ses fantasmes, conformément aux représentations dominantes du corps noir dans la culture occidentale, qui ne le montrent jamais pour ce qu’il est, mais le construisent comme un signe – ici, signe du fantasme de la toute-puissance (masculine hétérosexuelle).

En tant que héros, Django n’est pas tant « exceptionnel » que farouchement individualiste – pour ne pas dire égoïste. Mû exclusivement par la perspective de récupérer sa femme, il n’hésite pas à sacrifier d’Artagnan dans la séquence citée plus haut, afin de rouler Candie en passant pour un plus dur que dur. (Le cri de rétribution que pousse Django lorsqu’il tue l’un des contremaîtres de la plantation: « For D’Artagnan ! » vient un peu tard.) Par ailleurs, si Tarantino et ses acteurs concevaient Django, en tant qu’esclave qui riposte, comme un personnage subversif face à la culture dominante, il est frappant de constater que le film ne montre pas de confrontation réelle entre l’esclave et le maître. Le dialogue sur l’esclavage et les valeurs, en forme de confrontation, ne s’établit pas entre Django et Monsieur Candie. Mais entre ce dernier et Schultz. Schultz, l’Allemand, l’Européen : ce qui réduit la condamnation de l’esclavage à une mise en accusation de l’extérieur. La critique de l’esclavage ne peut s’accomplir entre Américains, et ne peut s’adresser que d’un blanc à un autre. Le seul personnage que Django prend réellement (et violemment) à parti sur la question est celui de Stephen (le vieil esclave majordome de l’esclavagiste Candie), en miroir au face-à-face Schultz-Candie – ce qui a pour effet malencontreux de reconduire une forme de séparatisme. En fin de compte, Django se soucie peu de l’esclavage ; le dragon n’existe que pour donner plus de prix à la princesse.

Et puisque l’on en vient à la princesse : n’en déplaise à l’actrice Kerry Washington (laquelle, au cours de la conférence de presse du 16 décembre, décrétait que le film offrait un message fort puisque la figure d’un héros noir dans le cinéma de masse avait manqué à la génération de son père), mais le personnage de Django ne propose pas de modèle de héros politiquement progressiste.

Au passage, on se demande si Washington a réfléchi au message véhiculé par son propre personnage, ramassis de toutes les conventions sexistes du cinéma hollywoodien. Broomhilda n’existe que par et pour le regard masculin hétérosexuel, son apparition étant commandée par les visions de Django. Elle n’a pas vingt lignes de texte dans le film ; sa voix résonne principalement par le hurlement, conformément à l’association entre la femme et l’animalité dans la culture occidentale ; Django, en plaidant en sa faveur dans une séquence en flashback où elle est fouettée, parle à sa place. Broomhilda, comme toutes les héroïnes-potiches, est braquée à bout portant pour faire lâcher son arme au héros. Certes, il s’agit là d’une citation des tropes du western, mais cette citation se limite à la stricte répétition, et reproduit inlassablement les codes dominants de la représentation des femmes au cinéma sans les mettre en question. Tarantino, d’ailleurs, n’est fidèle au mode du pastiche que quand cela l’arrange : si Broomhilda est Brunehilde, qu’est-il advenu de son statut de walkyrie – de guerrière –  tout aussi important que celui de princesse dans la mythologie germanique ? Pour conclure sur le sexisme du film, on concèdera que l’attribution du rôle de la princesse vulnérable et passive à une femme noire possède une dimension subversive, étant donné que les attributs de la « féminité » ont longtemps été refusés aux femmes noires dans l’histoire américaine. Et ce en raison du contexte esclavagiste qui faisait de toute femme noire une travailleuse et un objet sexuel (soit une anti-princesse), comme l’a montré Angela Davis dans Femmes, race et classe (Women, Race and Class, 1981, traduit en français en 2007). Cela étant dit, remplacer un mal (l’oppression des femmes noires) par un autre (l’oppression des femmes blanches) ne permet pas la création de modèles alternatifs réellement progressifs.

VENGEANCE CONTRE LES DOMINES

Django n’exerce sa vengeance que sur des personnages historiquement dominés au sein du système esclavagiste : les petits blancs instrumentalisés dans un monde où le racisme servait à occulter la lutte des classes ; les Oncles Tom comme Stephen, dont la complicité et la compromission ne s’apparentaient pas un contrôle secret du système, mais à des processus de survie, odieux ou non. Et la discussion finale entre Stephen et Django se réduit au spectacle de la violence « noir sur noir » (black on black violence, classique de la culture de masse américaine depuis l’invention du minstrel show (dans les années 1830), où des acteurs blancs se noircissaient le visage pour caricaturer des stéréotypes d’hommes noirs stupides, puérils et ignorants). Une fois de plus chez Tarantino, l’acte de cruauté suprême (en l’occurrence, faire exploser les rotules de Stephen) a été soigneusement amené et justifié par sa diabolisation. Django Unchained ne rend donc pas hommage à la mémoire des victimes de l’esclavage, parce qu’il se fonde sur la négation de la valeur de la vie humaine (comme les autres films de Tarantino), et plus précisément parce qu’il affirme que certaines vies valent plus que d’autres – ce qui constitue l’un des postulats du racisme et de la légitimation de l’esclavage.

Django Unchained n’apporte rien à la réflexion sur la mémoire de l’esclavage, et ne déboute pas non plus les fictions mensongères sur l’esclavage américain. Le film ne fait que perpétuer le processus de déshumanisation de l’Autre que ces fictions mettent en œuvre. Dans la scène où le gang de Big Daddy se lance contre Django et Schultz, Tarantino a refait une scène d’attaque de la diligence ou de la roulotte des pionniers. Par un tour de passe-passe, les Indiens de Comanche Station (Budd Boetticher, 1960) sont devenus les esclavagistes de Django Unchained. Autres temps, autres méchants ; la conception manichéenne du bien et du mal, en revanche, n’a pas pris une ride. La violence de Django Unchained n’est pas subversive : elle est politiquement correcte.

 

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