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Exégèse du coucou |
Actuellement dans le palmarès des mots les plus présents sur les Internets – et notamment sur les réseaux sociaux dont il est l’un des piliers – le dynamique coucou est, au même titre que le bas de laine, l’un des plus solides remèdes contre la crise. Gros plan sur le Xanax 2.0. CC Flickr S(e)Spry
Surprise !Depuis qu’il est verbalisé, le coucou de nos grands-mères a perdu son côté has been et rétrograde : aujourd’hui, disons depuis Séguéla, on a tous une Rolex pour savoir l’heure – sinon on a raté sa vie, et dans ce cas ce n’est pas cet article qui changera le cours des choses. Néanmoins, si l’aspect désuet a disparu, on a quand même conservé du coucou de notre enfance un aspect fondamental : le surgissement en mode pop-up. On ne peut en effet qu’être frappé de la ressemblance entre ces deux images :
Dans les deux cas, le coucou marque le surgissement d’un être jovial annonciateur d’une bonne nouvelle – l’apéro en 1, et un semblant de renouveau au PS en 2. En dépit de cette similitude fondamentale, on remarquera que le coucou verbalisé est quant à lui caractérisé par son surgissement inopiné, là où le petit oiseau de l’horloge sort de sa niche avec une régularité déconcertante. C’est précisément ce goût pour la surprise qui fait à mon sens la fortune de l’onomatopée cordiale sur les Internets. Complément d’enquêteDe même qu’on a oublié que les jumeaux Bogdanov ont quatre autres frères et sœurs, on a tendance à négliger la genèse du coucou, qui s’est répandu sur Facebook telle une traînée de poudre après la diffusion de cet excellent épisode de Complément d’enquête, qui synthétise à lui seul toutes les caractéristiques sémiotiques du coucou.
L’astucieuse journaliste rappelle ainsi que le coucou crée l’interaction verbale, mais ne la soutient pas. « Je n’ai rien fait d’autre que me créer un pseudo » : cette inactivité répréhensible en période de chômage entraîne inévitablement le surgissement de la salutation tendance. Aucun dialogue n’est en effet nécessaire : le coucou autarcique suffit à créer du lien, et s’appuie sur sa seule autorité pour embrayer sur l'objectif premier de la prise de contact. On appréciera ici notamment la dimension visuelle du mot, réduit à un succinct « cc », et doublé d’une éclairante voix off. De là à déduire que chaque coucou asséné sur les Internets dissimule un « Tu veux voir ma bite ? » non exprimé, il n’y a qu’un pas : et pourtant, cher internaute, ce serait encore un abus de l’érotisation de l’existence. Car le coucou a des vertus pragmatiques dont se serviront orthophonistes et psychiatres lorsqu’ils les auront perçues. Modalités du coucouEnvisager les modalités du coucou, c’est aussitôt pencher pour l’exclamative, parfois doublée d’un caps lock quelque peu agressif pour la cornée : « COUCOU ! » En fonction de l’âge, de la situation géographique et des degrés, on multipliera à l’envi les points d’exclamation et les variations orthographiques : kikou, kikoo, c ♥uc ♥u, noɔnoɔ, etc. Tout est dit, et l’on vient trop tard : La Bruyère lui-même aurait sans doute approuvé, dans le contexte de crise littéraire qui était déjà le sien, qu’apparaisse enfin LE mot qui en synthétise à lui-même des milliers, et se substitue bien souvent à la loghorrée, pour laquelle on n’a plus de temps. De même que le coucou de tante Alberte scandait la journée en heures, celui que nous lui préférons désormais est un memento mori couché sur la place publique des dizaines de fois par jour. Récupéré par les timides, le « coucou » est une habile manière de se rappeler au monde et d’affirmer discrètement qu’ils en font partie, au milieu du brouhaha des bavards.
Les plus engoncés d’entre nous tenteront le coucou en modalité interrogative : il faudra y lire la discrète tentative d’un toc toc à la porte de l’âme. Dans de telles circonstances, il est absolument nécessaire de répondre à ce sursaut de l’intériorité ; en suivant à long terme ces règles primordiales de l’échange primitif, on devrait parvenir à faire chuter considérablement le taux de suicides. Rentabilité de l’économie
En dépit des apparences, le coucou peut en effet se répéter dans l’interaction verbale sans jamais provoquer la moindre monotonie.
On a progressé depuis Ionesco, et le sentiment de l’absurdité a cédé la place à la certitude qu’il suffit d’un mot, un seul, pour résoudre les conflits, les bouderies, et la sensation d’une existence à jamais marquée par le vide. Tweet
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