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Cinéma

Tahrir, place de la révolution

Par Pierre Michel   
Le 11/02

Dans Tahrir, place de la Libération, Stefano Savona plonge au cœur de la place Tahrir et s'attarde sur les visages de la révolution égyptienne. Spontané et enjoué.
Tahrir, place de la révolution
Tahrir, place de la Libération

Pour beaucoup, la révolution égyptienne se résumait en quelques plans : la place Tahrir vue de haut, des scènes de foules ou des groupes criant face caméra, et les mêmes, de dos, lançant des pierres. Un air de déjà-vu, de tout le temps vu. Serge Daney appelait ça du visuel, à savoir « l'image qui vient à la place d'une autre, qu'on ne veut plus voir. Ce qui sert à ne pas regarder le monde ». Bref, des images de remplacement. En contrepoint de ces scènes : des apparitions quasi-fantomatiques de Moubarak à la télévision. Reclus, définitivement séparé, comme dans un autre espace-temps que ceux qui, depuis le jour de la colère (le 25 janvier 2011), occupent cette place de la libération. Un Moubarak spectral, désincarné, dont l’existence et le pouvoir n’excèdent plus le cadre de l’objectif ou celui l’écran de télévision. Des messages en direct, et pourtant déjà d’outre-tombe. A la télévision, malgré le bruit et le vacarme, la révolution égyptienne n’était qu’un grand film muet.

« Une image, c'est un visage, qui est un regard »

Daney encore : « Une image, au final, c'est un visage, qui est un regard. » Ce regard, Stefano Savona a décidé de le plonger au sein de la place Tahrir. Savona s’immerge dans ce lieu, pose sa caméra sur le visage de celles et ceux qui ont défié le pouvoir des semaines durant. Des visages donc, des regards, mais aussi des paroles et des débats. Et avec eux, la tentative de comprendre ce qui se passe, mais surtout où l’on va. Souvent, dans la nuit de la place Tahrir, Savona filme magnifiquement ces visages. D'une très faible profondeur de champ – il filme à l’aide d’un appareil photo Canon 5D –, l’image de Savona fait écho à la situation dans laquelle les Egyptiens se trouvent.

Lui comme eux cherchent à se focaliser sur un point, même furtivement, pour tenter de maîtriser et d’organiser un environnement instable. Des premiers jours de l’occupation à une levée de siège pour certains à contrecoeur, Savona saisit les hésitations, les différents points de vue et les désaccords qui parfois en découlent. Si chacun tend vers le même objectif – la chute et le départ de Moubarak –, certains veulent pourtant voir plus loin et font déjà part de leurs craintes quant à un après. Que faire de l’armée, de ceux qui sont au pouvoir depuis des décennies, mais aussi des Frères Musulmans qui, malgré leurs bonnes intentions affichées, sont en embuscade ? Difficile en tout cas, une fois dans l’œil du cyclone, de parvenir à tracer des perspectives d’avenir. Tout se joue dans l’instant, dans une journée qui se répétera tant qu’il le faudra. Place Tahrir donc, c’est la spontanéité qui domine. Un seul leitmotiv : tenir, encore tenir.

« Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter »

Beckett le disait : « Quand on est dans la merde jusqu’au cou, il ne reste plus qu’à chanter. » Aux manifestants donc de chanter, de crier des slogans pour se donner le courage nécessaire. Les ritournelles tracent un espace, un territoire dans lequel tous s’inscrivent pour conjurer le chaos qui les menace.

Je chante parce que je ne veux pas avoir peur. Je chante parce que c’est là la seule manière de constituer un ordre dans une révolution qui n’en a pas. Je chante et je continuerai jusqu’à ce que l'objectif soit atteint. Bref, je chante dans le noir pour me donner du courage jusqu’à ce que la lumière s’allume. A la fin de la projection, mais aussi peut-être beaucoup plus tard. 

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