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Cinéma

[Ciné-club] L'Aventure de Mme Muir - La vérité est ailleurs

Par Vanina Géré   
Le 18/03

Dans le cadre de sa « Carte blanche à Tim Burton » la Cinémathèque projette « L’Aventure de Mme Muir ».

Bienvenue au cottage

Lucy Muir (Gene Tierney), jeune veuve assoiffée d’indépendance dans l’Angleterre edwardienne, s’affranchit de l’emprise de sa belle-famille en allant s’installer avec sa fille et sa fidèle servante Martha au village côtier de Whitecliff. En dépit des réticences de son agent immobilier, elle insiste pour visiter une maison mystérieuse sur la mer, « un peu à l’écart pour une femme seule ».

D’emblée, elle est frappée par le portrait de l’ancien propriétaire, capitaine au long cours, qui a tout de la Présence réelle. La visite terminée, elle se rend compte que le fantôme du marin (Rex Harrison, que l’on reverra en 1963 en Jules César dans le Cléopâtre de Mankiewicz) hante la maison. Qu’à cela ne tienne : éprise de l’atmosphère de la demeure, la jeune femme décide de la louer. La nuit arrive, le fantôme tente de l’effrayer. En vain. Le capitaine Gregg, intrigué par le tempérament « obstiné » de Madame Muir et conquis par sa beauté (elle lui fera remarquer que pour un esprit, il est bien attaché à la chair !), la laisse rester « à l’essai ». De plus, il s’engage à n’apparaître qu’à elle.

The ghost writer

Une communion se crée. Si bien que lorsqu’elle doit faire face à des problèmes financiers, il lui propose de lui dicter le récit de sa vie, de le publier et donc de remédier à la situation. Cet ouvrage, c’est leur bébé. Le succès est total. Chez l’éditeur pourtant, Madame Muir rencontre un homme - George Sanders, spécialiste des rôles de dandies perfides comme dans (entre autres) Rebecca (1940) ou All About Eve (1950) - qui la séduit. Le capitaine, jaloux mais plein de l’abnégation de ceux qui ont l’éternité devant eux, la laisse choisir la vie, avec ses déceptions et ses blessures. Au cours d’une séquence bouleversante où il murmure à l’oreille de la belle endormie que tout cela n’était qu’un rêve, le revenant annonce qu’il ne reviendra plus. Ces deux êtres, qui se sont autant trouvés que ratés, se retrouveront dans la mort.

Clair obscur

L’un des premiers films dirigés par Joseph L. Mankiewicz, L’Aventure de Mme Muir (The Ghost and Mrs Muir) commence un peu à la manière des comédies romantiques fantastiques américaines comme Ma Femme est une sorcière (I Married a Witch, 1942, René Clair), où le fantastique est le ressort privilégié du comique, jouant sur le décalage traditionnel entre ce que voient les spectateurs mais pas les personnages, ce que savent certains personnages mais pas d’autres, etc. L’humour ponctue la majeure partie du film : la scène d’introduction, qui présente Mme Muir aux prises avec une belle-sœur psychorigide et une belle-mère pleurnicharde, rappelle avec bonheur les scènes des derniers Lubitsch, dont Mankiewicz avait été l’assistant, où l’aspiration individuelle au bonheur et à la liberté est mise à l’épreuve d’un ordre social étouffant. La Folle ingénue (Cluny Brown, 1947), en est un exemple.

Les ingrédients du romantique (dérivés du gothique littéraire et du romantisme anglais) sont au rendez-vous : scènes nocturnes rendues par des clairs-obscurs et une photographie tout en contrastes, brouillard, plans sur une mer déchaînée et sur la falaise, et héroïne à la sensibilité singulière, magnifiquement interprétée par Gene Tierney, aussi émouvante que somptueuse. Ajoutons à cela la bande-son absolument poignante réalisée par Bernard Hermann.

La pensée et le mouvant

Avec le départ du fantôme, le film prend un tournant inattendu. L’Aventure de Mme Muir révèle tout d’un coup sa structure en miroirs, fondée sur la répétition sans le retour du même, qui ne donne plus autre chose à voir que le passage et les ravages du temps. Le film sera désormais rythmé par la marche sur la plage de l’héroïne, vouée à une existence en retrait du monde.

Pourtant, des indices nous sont donnés dès le début du film : le vieux pêcheur grave le nom de la petite fille de Mme Muir, Anna, sur une planche plantée au milieu de la plage, pour que son nom reste gravé à jamais et que les bateaux puissent le voir. Or en moins d’un quart d’heure, s’enchaînent les plans sur l’action des vagues qui érodent les lettres « Anna Muir », jusqu’à n’en plus laisser qu’une trace à peine lisible. L’accélération temporelle se fait plus furieuse encore que la marée qui monte. En quelques séquences, la belle et énergique Mme Muir devient une femme mûre, une vieillarde lasse, et à son tour, un fantôme.

L’armée des ombres

Au travers d’une des plus belles histoires d’amour du cinéma, Mankiewicz suggère non pas tant la fugacité de l’existence humaine que la dimension subjective du temps, qui s’étire ou se rétracte pour Mme Muir, dont le bonheur aura reposé sur le souvenir, ou le rêve, de quelques mois à peine. L'Aventure de Mme Muir introduit également l’un des sujets chers à Mankiewicz, qu’il poursuit tout au long de sa carrière de metteur en scène : la mise en abyme au cinéma, médium illusionniste par excellence.

Les moments quasi intenables – lorsque le spectateur trépigne à l’idée de la possibilité d’un contact physique entre le fantôme et Mme Muir - ne participent pas uniquement du thème des amours impossibles : ils nous rappellent que nous ne voyons que des ombres, et que les personnages auxquels nous nous identifions sont des fantômes

L'Aventure de Mme Muir est projetée à la Cinémathèque dans le cadre de la Carte Blanche à Tim Burton.

Renseignements pratiques ici.

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