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Videoscope Politique

Le lapsus ou la faillibilité du pouvoir

Par Mat Hild   
Le 05/03

À l’heure où l’idéal de transparence innerve les discours de nos politiciens de tous bords, il est temps de revenir sur quelques moments anthologiques au cours desquels la fenêtre de leur âme s’est ouverte bien malgré eux. Le lapsus – surtout lorsqu’il est médiatisé, et de préférence sexuel – provoque de manière conjointe le vacillement de son auteur et la jubilation des auditeurs.

C'est sans doute le lapsus qui permet d'observer au mieux le lien entre langage et pouvoir. Freud rappelle ainsi après Meringer que, symboliquement destitué, l’auteur d’un lapsus refuse le plus souvent d’avouer son erreur. Retour sur les quelques secondes où s’annonce pour le politicien le crépuscule d’une réputation.

Sex is not dead

Certains lapsus sexuels peuvent incontestablement s’expliquer par le contexte ; on excusera ainsi volontiers Robert-André Vivien, qui lors d’un débat parlementaire sur la classification des films pornographiques, invita les votants à « durcir leurs sexes ». Le lapsus est ici clairement le pop-up non pas de l’inconscient mais au contraire des heures de concentration passées à se répéter qu’il ne faudrait surtout pas que la langue fourche à cet endroit précis.
Car les lapsus les plus humiliants (mais aussi délectables) restent bien sûr les tartes à la crème sexuelles ; ils sont immédiatement suivis d’une lutte désespérée pour assurer la linéarité du discours et contrôler l’hilarité des auditeurs.

Tête haute, yeux baissés, doigt levé

Même lorsqu’il est corrigé in extremis, le lapsus reste irrattrapable, et a tôt fait de vous doter à vie d’une réputation d’obsédé. C’est là son caractère tragique car, intrinsèquement lié à une production instantanée, il a néanmoins vocation à circuler intensément dans l’espace Schengen 2.0. Rachida Dati doit ainsi une partie sa célébrité à ses écarts phalliques, qui l’ont conduite de la « fellation » économique  au « gode » des bonnes pratiques.
Gros plan sur la gestion de l’instant de disgrâce :

Qualifiée de « femme de pouvoir » dans la biographie que lui a consacrée Tahar Ben Jelloun, Rachida Dati affiche une gestion parfaite du dérapage. Et pourtant, et pourtant. Refusant de tomber en décadence, Rachida poursuit son discours, mais la honte est perceptible dans chacun de ses gestes. Sourcil levé au moment du lapsus fatidique – oh non c’est pas vrai je n’ai pas dit ça – elle détourne le regard immédiatement après la Faute, perdant ainsi, l’espace d’un quart de seconde, l’illusion de l’omnipotence. Dans les deux cas, l’aveu involontaire ne vient que quelques mots plus tard, alors qu’elle bute à plusieurs reprises sur les mots les plus consensuels du monde : « laïcité », « principe », « république », « période de crise ».

Du côté de Claude Guéant, l’effet domino se renverse, et conduit l’orateur tout schuss du bafouillage anodin au lapsus sexuel. La virilité symbolique de ce dernier comble ainsi le premier bug avec un second. 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le plus drôle dans le lapsus n’est pas le dérapage lui-même, mais l’acharnement compensatoire qui lui succède. En haussant le ton et en brandissant l’index dans une astucieuse manifestation professorale, l’homme politique espère retrouver le pouvoir symbolique perdu. Comparons ces trois extraits à titre d’exemple :

Langue de bois et bouche pâteuse

La destitution instantanée – quoique momentanée – est particulièrement difficile pour qui ne l’envisage pas comme risque intrinsèque à sa fonction.
La justification verbale accompagne souvent les gestes dans la légitimation de l’erreur. Ainsi, lorsque Bérégovoy prévoie de « baiser l’impôt », il s’en explique aussitôt : « Je vous avais dit que sur la forme je pouvais avoir quelques défaillances. » Faute avouée à demi pardonnée, et la défaillance n’est pas l’effondrement :

On ne sera pas surpris, au terme de ce parcours, que le politicien le plus complet dans la gestion verbale, non verbale et paraverbale du lapsus soit notre actuel président. Confondant l’Alsace et l’Allemagne – en Alsace, c’est plus drôle –, Sarkozy tente d’abord de faire amende honorable – ce dont témoigne sa main levée dans un geste d’humilité émouvant. Mais, voyant très vite que l’hilarité du public ne s’en trouve pas apaisée, il emploie la méthode forte et tente avec tyrannie d’imposer le silence. Renvoyant l’assistance à son comportement déplacé, il opère un transfert de culpabilité et réaffirme avec autorité la puissance de sa posture. Sa glose elle-même vise à lui donner raison (« c’est là que vous voyez que j’ai raison de m’investir dans le chantier de la dépendance ») – ce qui n’a jamais été l’objet du débat.
Outre l’inefficacité de son agitation – les rires se font au mieux moins audibles –, on remarquera comme chez Dati le regard très brièvement fuyant, signe aussi discret qu’infaillible de la chute :

De tels lapsus font sans conteste vaciller l’idée même de langue de bois, en réintroduisant des mots de chair dans un discours surlissé. Ces boursuflures ont l’avantage de nous faire rire. Et engendrent – avouons-le – une jouissance communautaire dans la propagation d’une impunité déchue. 

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