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Web culture

Guy Fawkes, l'icône des Anonymous


Le 13/02

Il y a encore 2 mois, Anonymous était un étendard identifié par tous les geeks du monde, mais encore un mystère pour la mamie du Cantal et sa connexion Internet stigmatisée. A présent, le masque de V pour Vendetta est partout, du web à la rue, en passant par le Parlement polonais et le siège physique de l'HADOPI. Décodons l'iconographie de ces « altermondialistes numériques ».
(c)Daily laurel

Photographies de Daily laurel 

 

Comment comprendre les « peintures de guerre » d'Anonymous ? Première étape indispensable, plonger dans la cyberculture. Soyons fous et commençons par ses tréfonds : 4chan.org, joyeux fumier du web, où putréfaction rime avec création. Ce site est un imageboard tentaculaire, sur lequel des flopées d’internautes viennent partager des images et discuter d'à peu près tous les sujets possibles – à condition que l'on finisse par en fournir la version porno. C'est d'ailleurs l'une des « règles » du forum : « If it exists, there is porn of it. » Putain de règle 34.


 

« I did it for the LULZ »


Habitués des petits chatons, détournez vos yeux, bouchez votre nez : sur 4chan, les kittens sont noyés dans un flot de boobs et les magiciens de Photoshop dévoilent le côté obscur de leur force. Pour notre plus grand plaisir débridé d'adorateurs du LULZ, le pendant maléfique du LOL, parent déviant du rire cynique et objectif premier des contributeurs de la partie la plus retranchée du site : la section /b/, peuplée par de /b/stards comme ils s'appellent entre eux gentiment.

Pourquoi parler de 4chan ? Parce qu'il s'agit du berceau d'Anonymous. Par défaut, ce site permet à des personnes de contribuer sans donner leur nom. A la place, toute personne est gratifiée du même pseudonyme : « Anonymous ». Pas d'inscription, pas d'avatar, sur 4chan tout le monde peut être au même niveau, respectant ainsi l'un des principes fondamentaux du web : ne compte que ce que l'on fait, pas ce que l'on représente. En bref, un monde parfait pour des Cyrano de Bergerac numériques : mieux vaut tenir une belle plume que d’être pourvu de longues jambes affriolantes, parce que de toute façon Photoshop toussa toussa. Les profile pics, c’est pour Tumblr. Sur 4chan, c’est le flux de données, et son perpétuel détournement dans un copier-coller collaboratif qui compte. Voici donc une deuxième clé de compréhension de ce qu'est Anonymous : une des plus récentes manifestations de l'esprit d'Internet, qui court depuis l'origine de l'informatique.

Ahh, la fin des années 60. Une époque où les geeks étaient des hippies qui pouvaient prendre du LSD dans leur garage et partager ensuite leurs meilleures recettes électroniques pour créer ce qui est devenu le cyberespace, Internet et les LOLCats. Des gens comme Steve Jobs, avant qu'il ne s'habille qu'en noir. Sérieux. C'est certes un peu rapide, mais c'est un fait : dans les gènes d'Internet, on trouve des traces de la contre-culture américaine – anti-autoritarisme, autogestion, revendication des libertés fondamentales, etc. Des traits que l'on retrouve ensuite dans Anonymous.


L’effet Flamby


Le masque de V pour Vendetta est devenu un symbole d'Anonymous lorsqu'il a fallu trouver une solution pour sortir dans la rue tout en conservant l'anonymat qui était possible en ligne. L'histoire commence en 2008. A ce moment-là, Anonymous ne ressemble pas à ce que nous connaissons actuellement. Le phénomène est tout jeune. Il a déjà fait ses griffes en jouant massivement au troll sur un réseau social pour ados comme Second Life (Habbo Hotel), mais aucune action marquante qui ne le fasse connaître médiatiquement. C'est alors qu'arrive la frimousse de Tom Cruise. En bon scientologue, il a réalisé une vidéo de propagande à usage interne qui s'est malencontreusement retrouvée sur Internet. On imagine la situation à la Scientologie :
« Heu boss, j'crois qu'on s'est trompé dans le destinataire du mail, la vidéo de Tommy elle est partie sur l'Internet.
- Oh shit. J'appelle les avocats. On va couper l'Internet »

C'est la réaction classique de la secte, la réponse judiciaire pour censurer. Le souci, c'est que le peuple d'Internet n'aime pas que l'on supprime de l'information. C'est ce qu'on appelle « l'effet Flamby » : si tu écrases un Flamby en tapant dessus violemment, tu te retrouves avec des morceaux de gélatine sur tous les murs de ton appart. Tu voulais le faire disparaître ? Il est dispersé partout. Voici donc Anonymous qui décide de réagir contre la tentative de censure de la Scientologie, par ailleurs un ennemi de longue date chez les hackers, qui n'apprécient pas les sociétés secrètes.

Pour se protéger du harcèlement des scientologues, qui adorent filmer leurs opposants pour ensuite aller les stalker et farfouiller dans leur vie privée pour déterrer des affaires embarrassantes, le masque de V pour Vendetta est adopté comme étendard tout autant que comme bouclier. Une garantie de l'anonymat dans la « vraie » vie.

Masques Anonymous (c) dAiLLy laurel

 

C’est l’histoire d’un masque


Ce masque a lui aussi sa petite histoire. A l'origine du film, une bande dessinée d'Alan Moore, qui dans les années 80 plantait le décor d'une dystopie : l'Angleterre est gouvernée par un régime fasciste et totalitaire qui régit la vie de ses habitants par une propagande massive et une limitation des moindres faits et gestes de tout un chacun, chaton mignon ou non. Dans ce film apparaît Guy Fawkes, figure tutélaire du héros révolté de la bande dessinée.

Le Guy, il n'est pas bien connu en France, mais dans le monde anglo-saxon, c'est une star. Chaque année, et ce depuis des siècles, l'Angleterre fête le 5 novembre la Nuit des Poudres en l’honneur de ce célèbre révolutionnaire qui a voulu faire sauter le Parlement un soir de 1605. Une sombre histoire de complot catholique contre le roi Jacques 1er qui était lui protestant. L'attentat a échoué, et les conseillers en communication du régime ont fait une propale efficace : la célébration de ce fail historique, autorisant le bon peuple à fêter la survie de son bon roi.

Progressivement, le sens de ces ripailles accompagnées de moult artifices a évolué. Plus question de brûler des effigies du Pape comme à la bonne époque. On a préféré brûler directement le Guy. Au fil des temps, l'Anglais, finalement moins attaché à sa royauté et aux guerres de religion, y a progressivement vu davantage un symbole de rébellion contre le pouvoir qu'un acte de soutien à son dirigeant protestant. Alan Moore lui-même atteste malicieusement de ce changement progressif : « Quand les parents expliquaient à leur progéniture Guy Fawkes et sa tentative de faire exploser le Parlement, il y a toujours semblé qu’il y avait dans leur voix un soupçon d’admiration. »


Comics trip


C’est donc cette icône en perdition, Halloween prenant le dessus sur les bonnes traditions anglaises, qu’Alan Moore et son comparse David Lloyd ont relevé de ses cendres. Après un passage par Hollywood qui l’a sorti du monde des bédéphiles, ce symbole sert donc d’étendard aux Anonymous. On l’a retrouvé jusque sur la place Tarhir en 2011, où des manifestants en avaient repris les traits sur des masques en carton. Cette moustache et le sourire narquois de Guy Fawkes sont finalement l’un des plus beaux exemples de ce que peut être un mème, ce motif sémantique que l’on retrouve à toutes les sauces, et qui a ici traversé les âges.

Peut-être trahi dans son combat initial, Guy Fawkes est devenu, à la manière d’un Che Guevara, une sorte d’icône. La signification, et surtout la symbolique que revêt son image lui a échappé. Elle est trop forte pour disparaître : sa renaissance est portée par ceux qui l'utilisent, que ce soit des auteurs de bandes dessinées, des réalisateurs ou des hacktivistes. Ou des filles nues. #RememberRule34

Post-Scriptum : J’allais oublier une petite anecdote cocasse : il paraît qu’à la Warner (propriétaire des droits des masques V pour Vendetta), on s’est étonné il y a quelques années de l’augmentation des revenus sur la vente de ces masques. Et qu’une fois le pot aux roses découvert, une certaine gêne a régné dans les bureaux de la Major… LAUL.


Nicolas Danet sur Twitter : @NTenad

Pour en savoir plus et mieux comprendre Anonymous (et les chats sur Internet) :
Anonymous, pirates informatiques ou altermondialistes numériques ?, de Frédéric Bardeau et Nicolas Danet, FYP Editions
 

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